El Camino.
Carnet de voyage.
De Saint-Jean-Pied-de-Port à Fisterra, récit d’une aventure hors du commun sur le Chemin de Compostelle
là où rencontres et marche se mêlent en un patchwork de sourires, de partage et de transformation intérieure.
Playlist de lecture.
Je suis parti un 3 septembre.
Un jeudi.
C’était sûrement un matin comme les autres, pour la plupart des gens ; mais pour moi, il avait comme un goût de bout du monde lorsque je fermais le portail de la maison familiale et que, posant un dernier regard sur le village, je pris le chemin. Avec mon sac à dos en guise de bagage et mes jambes, pour seules compagnes de marche.
Je me rappelle que le jour peinait à se lever, au milieu des brumes qui montaient du piémont basque. Au loin, les silhouettes imposantes des premiers sommets pyrénéens peignaient mon horizon de lignes sombres et majestueuses. Comme une invitation à l’introspection, un premier pas vers moi-même. Pourquoi me lançais-je dans cette aventure ? Qu’est-ce qui pouvait me pousser à écouter la voix de mon instinct plutôt que celle – rassurante et suave – de la raison ? Pourquoi abandonner mon confort, mes habitudes et la routine du quotidien pour l’inconnu, les aléas d’une épopée à travers le nord de l’Espagne ? Des questions, il y en avait alors d’innombrables qui hantaient mes pensées. Plus encore quand j’arrivais, une heure plus tard, à Saint-Jean-Pied-de-Port. Et que je voyais pour la première fois de ce long périple, qui allait rythmer ma vie un mois durant, la légendaire coquille du chemin de Compostelle.

Pourtant, malgré ces questions sur les raisons de ma présence au bord du mythique Camino de Santiago, rien n’était moins certain que l’impérieux sentiment qu’il me fallait partir. Vers d’autres buts. D’autres rencontres. Un autre moi-même.
Des premiers lacets de la longue et éprouvante montée vers le col de Lepoeder et le village de Roncevaux de l’autre côté de la frontière, jusqu’aux ultimes terres du Chemin neuf cents kilomètres plus tard, j’ai marché. Dans les forêts apaisantes du Pays Basque, au bord des champs de blé de Navarre qui s’étendent plus loin que ne porte la vue, dans les vignes luxuriantes et sur la terre ocre de la Rioja. J’ai embrassé du regard les perspectives sans fin du désert de la Meseta. J’ai laissé mon esprit s’envoler vers d’autres infinis en marchant le long des routes de Castille, fermé les yeux et goûté le silence parfumé des sentiers ombragés d’eucalyptus de la Galice.
J’ai foulé des chemins vieux de mille ans, ornés de légendes et d’histoire de celles et ceux qui l’ont parcouru avant moi, des montagnes pyrénéennes jusqu’au ressac de l’océan Atlantique. J’ai croisé des personnes venues des quatre coins du monde, que je n’aurais jamais pu rencontrer ailleurs qu’au détour de ces sentiers de terre et de ces auberges rustiques, qui résonnent encore à mes oreilles du rire et des sourires de gens aussi différents que semblables.

La magie du Chemin de Compostelle.
Alors, « Qu’est-ce qui fait la magie du Chemin ? », sont parfois tentés de demander ceux qui ne le connaissent que par les livres ou les reportages. Si chaque marcheur aura probablement sa propre réponse à cette question, la magie du Chemin de Compostelle réside, à mes yeux, dans la force brute de sa beauté. Dans la rudesse de ses exigences. Dans ses paysages qui vous coupent le souffle et vous retournent de l’intérieur. Ou ces rencontres qui vous font passer par toute l’étendue des émotions humaines. Cette magie qui donne cet éclat particulier au regard de celles et ceux qui l’ont parcouru, elle se cache au creux de ces étendues désertiques et mystiques qui donnent aux heures qui passent tout leur sens. Dans l’innocence de ces hameaux perdus aux sommets des collines, ou sur les crêtes des montagnes, ces villages qui sortent la poésie de l’étroitesse de nos souvenirs d’écoliers. Ou encore, dans le bruit assourdissant mais pourtant si humain des villes comme Burgos, León ou Logroño, qui ponctuent le chemin de cette évidence : la vie passe aussi et nécessairement par les autres.
L’Autre… Celle ou celui que l’on ne connaissait pas, quelques jours plus tôt. Et qui désormais, fait partie du quotidien de manière naturelle et pourtant, indéniable. J’ai rencontré sur le Camino francès des personnes simplement exceptionnelles, qui ont marqué ma vie et mes souvenirs, à jamais. Des gens qui parlaient ma langue et d’autres, non. Des êtres humains qui m’ont donné un trésor inestimable : le meilleur d’eux-mêmes, de leurs cultures et de leurs vies. Au creux d’un sourire fugace mais sincère, au détour d’une discussion pleine d’enthousiasme, au coin d’un regard débordant de mots silencieux mais pourtant, si forts. Le fait d’avoir sa vie dans un sac à dos et de ne pouvoir aller plus vite que ne le peuvent ses jambes rend les choses du quotidien et les rencontres plus simples. Plus vraies.

J’ai croisé le chemin de Jérémy dans les forêts proches de Larrasoaña au Pays Basque, le lendemain de mon départ ; nos routes se sont séparées un mois plus tard à Santiago, au moment de prendre le train et l’avion, pour regagner nos vies respectives. En sachant que l’on se reverrait, un jour. Forcément : c’est ce que font des frères. Il y a eu aussi Gabriel, ses retentissants éclats de rire et sa bonne humeur communicative. Asia, ses yeux bleus comme une promesse océane, son accent qui chantait l’Italie et le regard touchant qu’elle posait sur la vie. Et quelques kilomètres après León, celle qui allait devenir la mère de mon fils : Clarisse. Parmi tous ces visages, ces prénoms aujourd’hui épinglés sur le mur de mes souvenirs, je n’en oublie pas pour autant tous ceux qui ont fait la beauté de mes journées à arpenter les routes de Compostelle, que ce soit Allan et Theresa du Canada, Helmut d’Autriche, Florian d’Ardèche, Gisela et Dominic d’Allemagne, Emile, sa femme et Shaun d’Afrique du Sud, Anne de Seattle, Louise du Québec, Maud des Pays-Bas et tant d’autres qui ont peuplé les lacets de cette aventure. Tous venus d’horizons différents mais pourtant, si proches : sur le chemin, les différences ne sont plus des stigmates à porter comme autant de marques que l’Autre ne pourrait comprendre, mais redeviennent des richesses à partager. Lors d’une longue journée de marche sous le soleil d’Espagne ou dans le joyeux brouhaha d’un repas entre pèlerins, le soir, à l’auberge.
Mille raisons de marcher vers Compostelle.
Certains marchent vers Compostelle avec leur foi pour seule raison : d’autres, pour l’exploit sportif que cela représente. La plupart le parcourt pour eux-mêmes. Pour se retrouver, faire une sorte de point sur leurs existences et en reprendre le cours là où certaines exigences du quotidien nous poussent parfois à laisser notre vie : au bord du vide. Pour la goûter à nouveau comme elle mérite de l’être.
Je faisais partie de ces gens-là.

J’ai commencé mon chemin au pied des montagnes, le dos à mes certitudes : je l’ai terminé au bord de l’océan, avec le sentiment d’avoir fait le tour des choses et d’être à nouveau un. D’avoir réappris à vivre au fil du temps sans courir après. A profiter de l’instant présent pour ce qu’il est, simplement. D’être à nouveau capable de voir la beauté de ces choses à côté desquelles je serais peut-être passé, en d’autres circonstances. A partager le peu que j’avais avec celles et ceux dont je croisais la route et recevoir bien plus que je ne pouvais donner.
Il y a certaines choses que je croyais savoir, avant de me lancer dans cette épopée. Aujourd’hui, j’ai appris que le peu que je sais ne représente pas grand-chose, au final. Cela ne semble pas peser lourd, sur une feuille de papier ; mais, sur les sentiers d’une vie, c’est énorme.
Rien ne saura vous retranscrire à sa juste valeur la beauté et le caractère extraordinaire de cette expérience. Personne ne pourra mieux vous en parler que vous-même, si un jour, vous venez à la vivre. Que ce soit sur le chemin de Compostelle, lors de la traversée d’un continent ou même sur un sentier non loin de chez vous, l’aventure humaine n’est pas dans les buts que l’on choisit d’atteindre ni dans les destinations que l’on épingle sur les murs de nos vies, mais dans les chemins que l’on foule. Et celles et ceux que l’on y croise.
Buen camino.
Quelques chiffres à propos
de cette aventure sur le Chemin de Compostelle.
900
kilomètres
parcourus.
35
journées
de marche.
4
langues
parlées.
62
pages remplies
sur mon carnet.
1930
photographies
prises en chemin.
1
intoxication
alimentaire.
Parutions.
Certaines de ces photographies et ce récit à propos du Chemin de Compostelle ont été publiés dans la revue de voyage « Bouts du monde », dans le numéro 28 du magazine. Victime de son succès, ce numéro est désormais épuisé et indisponible.
Une édition consacrée aux grandes aventures et pèlerinages, de ceux qui se font plus dans la vagabonderie des grands espaces que dans le cadre exigu des églises et autres temples.
